jeudi 9 juin 2011

La coopération nucléaire franco-irakienne : la centrale d’Osirak

Le réacteur irakien Osirak en vue satellitaire

La coopération franco-irakienne dans le domaine du nucléaire commence alors que Valérie Giscard d’Estaing est Président de la République, et Jacques Chirac son premier ministre.
M. Chirac rencontre alors Saddam Hussein à Bagdad en septembre 1974 afin de lui vendre un réacteur nucléaire plutonigène de type "piscine", un réacteur de 500 MW au graphite-gaz. A l’époque, les Irakiens possèdent uniquement un petit réacteur de 2 MW à Tuwaitha, à une dizaines de kilomètres de Bagdad. C’est un modèle russe acheté en 1967, dont le Raïs n’est pas très satisfait. Saddam Hussein dit alors surtout vouloir passer du format expérimental au stade fonctionnel de production d’électricité. Il est à noter que l’accord prévoit des visites des inspecteurs de l’AIEA, une partie visiblement oubliée ultérieurement assez vite par les protagonistes.

LA FOURNITURE DU REACTEUR OSIRAK PAR LA FRANCE

A posteriori, une telle coopération franco-irakienne peut surprendre, voire prêter à sourire, surtout quand on se rappelle les motifs américains d’invasion en 2001. Ainsi, nous ne nous ferons pas l’économie de fort sympathiques photographies illustrant l’officialisation de la coopération lors de la visite de Saddam Hussein à Cadarache:


Le contrat entre les deux pays sélectionne le réacteur conçu par Technicatome, une filiale du CEA (avec 10% EDF). Bouygues Construction fera le gros-œuvre de béton, et les Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM) s’occuperont de la fabrication du cœur en acier. Saint Gobain Techniques-Nouvelles est choisi pour ajouter des manipulateurs afin de modifier la charge. La France fournit les 13,9 kg d’uranium enrichi à 93 % pour faire fonctionner le réacteur. Néanmoins, l’équipe française décide de pré-irradier le combustible vendu pour le rendre plus difficile à manipuler, sous la pression de Jimmy Carter, et surtout de son conseiller Zbigniew Brzezinski.

Le « réacteur d’Osirak » est une facilité de langage, car il s’agit en réalité de deux réacteurs de 40 MW (pouvant aller jusque 70 MW). L’installation vendue par la France est ainsi double, et est composée de Tammuz-1 et Tammuz-2 (dénommés Osiris et Isis en France). Les réacteurs français sont certifiés « à usage civil ». Mais cela n’empêche pas très vite la communauté internationale de s’inquiéter, aux vues des importantes et rapides commandes de l’Irak en matières premières matière fissile. D’ailleurs Saddam Hussein signe dès 1980 d’assez suspicieux contrats. Il négocie d’abord avec le Brésil une livraison d’uranium, et ensuite avec le Portugal une livraison de 138 tonnes de "yellow cake". Enfin le Raïs négocie avec l’Allemagne de l’est pour 11 kg d’U238, et 10 tonnes d’uranium naturel appauvri, devant être retraité au Canada (qui refuse de le faire).
Toutes ces commandes pourraient permettre à l’Irak de se diriger vers une fabrication de la bombe grâce au réacteur français. Mais c’est sans compter les inquiétudes d’Israël (avec qui la France venait tout juste d’arrêter une autre coopération nucléaire militaire, comme nous venons de l’évoquer. L’Histoire peut-être ironique…)


UNE AMITIE QUI NE PLAIT PAS A TOUT LE MONDE: L'OPERATION OPERA

On imagine à quel point une telle coopération mêlant la France serait aujourd’hui peu probable. Le fait que la France n’ait à l’époque pas signé le TNP, et le contexte relativement « libre » et extrêmement peu encadré dans lequel s’opéraient les transferts nucléaires n’est pas sans expliquer un tel accord entre les deux pays. Toujours est-il que le caractère relativement clandestin des contrats parallèles au contrat français passés par Saddam Hussein éveille rapidement les soupçons de l’Etat juif. Celui-ci fera tout pour éviter que la France aille au bout de l’exécution du contrat, quitte à ce que le Mossad doive faire quelques démonstrations de force sur le territoire français. Cette tentative de frein du programme nucléaire franco-irakien sera dénommée l’Opération Opéra.

Dans un premier temps, le Mossad va donc tenter par tous les moyens de ralentir le départ de France des matériels destinés à Osirak. Une explosion a lieu le 6 avril 1979 à la Seyne-sur-Mer, dans le Var, dans les hangars des Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée d’où le cœur en acier inox du réacteur devait partir deux jours plus tard. Le cœur sera juste « réparé », pour être réexpédié six mois après (malgré cela, la « garantie » du bon état du réacteur fut donnée par Raymond Barre).
Et les services de renseignement israélien multiplient les actions coup de poing. Un ingénieur égyptien, le Dr Yahya le-Meshad, est retrouvé égorgé dans sa chambre de l’hôtel Méridien à Paris, alors qu’il devait se rendre à Saclay et à Pierrelatte pour négocier un transfert de combustible. La Police Judiciaire française essaie alors de retrouver une prostituée qui l’aurait fréquentée lors du séjour parisien de l’ingénieur. Les policiers la retrouvent effectivement, mais sous les roues d’une voiture à Saint-Germain des prés.
Plus tard, pendant l’été 1979, un des responsables du projet Technicatome (et en liaison avec le troisième fournisseur italien Ansaldo Mercanico Nucleare) est victime d’une tentative d’attentat à la bombe. L’attentat rate, le Mossad se trompe de cible et tue un homonyme.

Dans un autre registre, afin de tenter de freiner le Raïs dans sa quête de la bombe, Israël va fournir en armes l’Iran, son adversaire principal de l’époque. Un B707 blanc, sans aucune marque, déchargera ainsi du matériel de guerre sur le Mehrabad International Airport de Téhéran. Aussi ironique encore une fois que cela puisse aujourd’hui paraître, une véritable coopération militaire s’opère entre l’Iran et Israël. Le responsable de l’Israel Defence Force (IDF) le général Yehoushua Seguy publie le 27 septembre 1980 un texte demandant aux iraniens de bombarder très vite les réacteurs d’Osirak. Trois jours plus tard, une réponse parvient. L’opération iranienne "Scorch Sword" va débuter avec une aide israélienne. Quatre F-4E Phantoms du 33rd Tactical Fighter Squadron décollent de la base de Nojeh TFB.3 située à Kaboodar-Ahang dans la province iranienne d’Hamedan, pour bombarder la centrale. Le bombardement est effectué, mais ne fait qu’abimer superficiellement l’installation.
Finalement, le 7 juin 1981, Tsahal envoie 6 F-15 d’escorte, armés de missiles air-air et air-sol (anti-radars) et de pods de contre-mesure, et 8 F-16 de bombardement, pour détruire la centrale d’Osirak. Placée sous la direction de Zeev Raz, ce sera l'Opération Opéra. L’installation, fruit de la coopération franco-irakienne, est réduite en ruines. Voir schéma ci-dessous:


La mission israélienne est tellement saluée comme un « succès », qu’un officier naval américain fera même une thèse sur le sujet en septembre 2004: « Israel’s attack on Osiraq : a model for preventive strikes ? »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire