mercredi 8 juin 2011

La coopération nucléaire franco-israélienne

Le réacteur de Dimona (Crédits: Space Imaging)

L'HISTORIQUE DE LA COOPÉRATION FRANCE-ISRAEL

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui a vu, pour la première fois, l'utilisation de l'arme suprême par les États-Unis contre le Japon, les responsables israéliens du tout jeune Etat juif misent sur la bombe pour éviter qu'un second Holocauste puisse un jour être commis contre le peuple juif. Le but de l'arme nucléaire sera donc d’assurer la survie du nouveau pays sur le long terme. Plus tard, l’arme aura aussi vocation à le protéger des menaces irakiennes et iraniennes, les deux pays étant soupçonnés d'avoir eux-mêmes l’ambition de se doter de capacités nucléaires militaires.

Le premier ministre David Ben Gourion lance le programme nucléaire israélien en 1949.Les États-Unis refusent à l'époque d'y contribuer. En effet, la perspective de voir déjà un jour la Chine et la France rejoindre le club très fermé des puissances nucléaires ne fait que très peu plaisir à Washington. Les dirigeants américains veulent à tout prix éviter la nucléarisation du Proche-Orient. C’est le président John F. Kennedy qui se montrera le plus déterminé à dissuader Israël de se doter de la bombe. Ainsi, l'administration américaine n'aura de cesse d'essayer de convaincre Israël de renoncer à son programme atomique. En échange, le Pentagone proposait d’offrir son bouclier nucléaire et des garanties sur la dissuasion, mais en vain.

La coopération avec la France commence en 1954. Le premier ministre Ben Gourion propose à Paris une entraide mutuelle pour la mise au point de la bombe. Avec une telle proposition, la France possède un double avantage : elle a une longueur d'avance en matière de recherche nucléaire et veut laver la honte de la Collaboration en opérant un rapprochement avec les victimes juives du nazisme.
Le rapprochement franco-israélien se noue autour de la guerre de Suez et la signature du Protocole de Sèvres en 1956. Les deux pays ont un ennemi commun : l'Égypte de Gamal Abdel Nasser, qui soutient d'un côté le Front de Libération Nationale (FLN) algérien contre la France et arme, de l'autre, les fedayins palestiniens contre Israël. Ainsi, outre les amitiés personnelles qui liaient les socialistes Guy Mollet et le général Kœnig aux travaillistes israéliens, Paris avait rapidement considéré l'État hébreu comme un allié au Proche-Orient. En effet, l'influence française déclinant avec la fin de la tutelle sur le Liban et la Syrie, et avec les ambitions panarabistes de l'Égypte de Nasser et la concurrence avec les États-Unis et le Royaume-Uni sur le contrôle des hydrocarbures, il fallait que la France puisse s'appuyer sur un État qui lui permettait de garder un levier dans la région. La proposition de coopération nucléaire franco-israélienne tombait donc à point nommé.


Lorsque Nasser décide de fermer le canal de Suez à la navigation israélienne avant de le nationaliser en 1956, Paris et Tel-Aviv font donc front commun et décident d'intervenir aux côtés de la Grande-Bretagne. Ce sera un fiasco, en raison de l'hostilité américano-soviétique à l'aventure. Mais cela aura au moins eu l’avantage de sceller l'amitié franco-israélienne pour qu’elle puisse se poursuivre. En octobre 1957, Paris et Tel-Aviv passent des accords diplomatiques et techniques et lancent à ce moment véritablement le programme nucléaire clandestin, alors supervisé par Shimon Pérès et financé par des fonds secrets prélevés sur le budget du ministère israélien de la Défense

LE REACTEUR DE DIMONA

La France avait promis de fournir la centrale nucléaire de Dimona, dans le désert du Néguev, avant la crise de Suez. Mais la coopération, qui doit permettre à Israël d'obtenir la maîtrise complète du cycle de combustible et de se hisser au rang de nouvelle puissance nucléaire, est renforcée après l'invasion du Sinaï égyptien par l'armée israélienne. Paris envoie plusieurs centaines de techniciens, livre un réacteur nucléaire de 24 mégawatts et entame les travaux à Dimona en 1958.
Le réacteur EL-102 français fourni sera alimenté par 20 tonnes d’eau lourde achetées à la Norvège en 1959. Afin de conserver le caractère clandestin du programme, les pièces françaises nécessaires à la construction de la centrale seront même envoyées par bateau en diversion en Amérique du Sud, avant d’arriver en Israël.
Le contrat prévoit également la construction d'une usine souterraine de séparation isotopique. En échange de son soutien déterminant, la France, qui cherche, elle aussi, à se doter de l'arme atomique espère ainsi «bénéficier de la technologie américaine, à laquelle les scientifiques israéliens sont supposés avoir accès» .

Il faut aussi préciser qu’en plus d’avoir permis à Israël de fabriquer son réacteur de Dimona, Paris a aussi coopéré avec Tel Aviv dans le secteur balistique, afin d’intégrer sur des vecteurs les futures têtes nucléaires israélienne, chargées de matière fissile franco-israélienne. Un mémo de la CIA datant de septembre 1974 concernant le missile Jericho témoigne d’ailleurs de la véritable finalité du missile. Le mémo souligne que le missile Jericho, censé être conventionnel n’a de sens que s’il est chargé d’une tête nucléaire, et que les Israéliens auraient donc menti sur sa finalité, et par là même sur la finalité de leur programme nucléaire : « la CIA fait remarquer que le missile Jericho n’a guère de sens en tant que missile classique, et a été conçu au départ pour accueillir des ogives nucléaires. ». Or, l’origine des plans de conceptions du missile provient de Paris encore une fois. Le missile Jericho a en fait été construit avec l’aide de la Générale Aéronautique Marcel Dassault, étant donné que c’est un clone du missile MD-620 français, commencé en 1962 et déclaré opérationnel en 1965. On peut aussi noter qu’à l’époque, le premier avion sous le nom de Dassault, l’Ouragan MD 450, sorti en 1949 était en outre devenu le fer de lance de l’aviation israélienne.

LES INQUIÉTUDES FRANCAISES

Mais Paris s'inquiète progressivement de la révélation potentielle du secret qui risquerait d'affaiblir sa position sur la scène internationale De Gaulle va donc mettre un frein à la coopération nucléaire franco-israélienne quand il revient au pouvoir en 1958.

Le général demande d’abord aux dirigeants israéliens de confirmer publiquement l'existence du site nucléaire en échange de la fourniture de matériaux et technologies complémentaires. Le premier ministre David Ben Gourion le fait en 1960, en précisant candidement que le réacteur sera utilisé à des fins exclusivement civiles. Mais le général veut réorienter la politique étrangère de la France dans un sens plus favorable aux pays arabes, notamment après les accords d'Évian sur l'indépendance algérienne en 1962. Il prononce alors l’arrêt de la coopération franco-israélienne. De plus, les essais nucléaires français ayant été concluants, De Gaulle estime qu'il n'a plus besoin des ingénieurs israéliens pour faire progresser la recherche, surtout qu’il veut aussi assurer le caractère français de la bombe, et recentrer l'outil de dissuasion sur le territoire national.
L'aide française aura néanmoins été considérable et déterminante. Le programme israélien est ainsi suffisamment avancé pour pouvoir être mené jusqu'à son terme. Les principales étapes ont été franchies et l'usine de Dimona est terminée.
À la veille de la guerre des Six-Jours en 1967, les premières armes nucléaires sont quasi opérationnelles au sein de Tsahal.

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